LE SECRET DE LA SOCIETE, Pacôme Thiellement (PUF, 2024)

Le Secret de la société, comme certains des précédents ouvrages de Pacôme Thiellement (L’Enquête infinie, La Victoire des Sans Roi) se veut une exégèse éclectique,  mêlant références poétiques et cinématographiques à une analyse philosophique et spirituelle du monde moderne. Le Secret de la société a la particularité de mettre davantage l’accent sur la dimension politique, convoquant Marx et Simone Weil. Pacôme Thiellement part de l’idée de théorie du complot pour mettre à jour une tradition cachée liant divers individus ou groupe d’individus n’ayant pas renoncé à faire changer la société. Les références sont foisonnantes, du Chat de Chester à Balzac, du Langage des Oiseaux à Colette Thomas et de Jean Renoir à la Baghavad-Gita. Cependant, la figure majeure de ce livre est sans doute celle de Jacques Rivette, cinéaste balzacien  s’étant penché à plusieurs reprises sur des théories du complot. En ce sens, son oeuvre phare est Out 1, un film-fleuve de près de treize heures autour d’un groupe de personnages liés par un mystérieux secret inspiré de l’Histoire des Treize. 

LUTTE DES CLASSES

Dans Out 1, dont la version longue ressortira sous le titre Out 1-Noli me tangere, ce sont deux marginaux, Frédérique (Juliet Berto) et Colin (Jean-Pierre Léaud) qui traquent les preuves d’un complot et cherchent la clé d’une énigme qui n’a jamais de solution. Seuls à prendre au sérieux le jeu social, ils seront les victimes expiatoires des fausses conspirations de l’élite. Pacôme Thiellement les associe à la longue liste des artistes ou intellectuels ayant tenté de penser hors des clous, quitte à le payer extrêmement cher, de Rousseau à Artaud et de Nerval à Fassbinder. Céline et Julie vont en bateau, le film suivant du cinéaste, semble être la revanche des exclus, des exclues plutôt, puisque les deux héroïnes refusent leur rôle sacrificiel. A l’inverse d’ Out 1 et d’un de ses modèles, La Règle du jeu, personne n’y est jeté en pâture pour assurer la pérennité d’une société corrompue. Par leur sororité, les héroïnes s’opposent au pouvoir de l’argent et du patriarcat, assurant que “cette fois, ça ne se passera pas comme ça” (citation reprise par Judith Godrèche lors de la cérémonie des Césars).

Pacôme Thiellement a le don de tisser des liens érudits et en apparence improbables entre les oeuvres et les époques. Il ne condamne pas plus les “terroristes du complot”, une tradition dont il fait remonter l’origine à l’abbé Barruel, que les “théoriciens du complotisme”. La question n’est pas vraiment là. Il s’agit plutôt de conserver notre capacité à penser le monde de manière neuve et alternative, voire mystique, pour ne pas rejoindre le cercle des “résignés” (Antonin Artaud, toujours). Question salutaire par les temps qui courent.

(Merci à Ilios Chailly de m’avoir fait découvrir l’oeuvre de Pacôme)

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