Dans la veine des réalisateurs français néo-rohmériens, Guillaume Brac sort du lot. J’avais d’abord misé sur Mickaël Hers, auteur du prometteur Memory Lane, mais ses emprunts à l’oeuvre du maître se sont révélés trop criants (le lac d’Annecy, Marie Rivière et Feodor Atkine dans Ce Sentiment de l’été) et presque agaçants de bon goût. A force de non-dits, ses films ont fini par ne plus dire grand-chose (Amanda). A l’inverse, ceux de Guillaume Brac me semblent plus vivants et incarnés. Dès son premier moyen-métrage, Un Monde sans femmes (2011), il aborde la solitude affective et la misère sexuelle d’un quadragénaire maladroit incarné par Vincent Macaigne. Le même Macaigne qu’on retrouve dans Tonnerre (2014) dans le rôle d’un rockeur sur le déclin.
Suivra en 2017 le diptyque Contes de juillet/L’Ile au trésor. Dans le premier, Brac aborde les relations sentimentales de manière subtile mais non dénuée de cruauté (le deuxième moyen-métrage particulièrement, Hanne et la fête nationale, laisse sourdre une certaine violence). Le second, un documentaire, prend pour sujet la base de loisirs de Cergy. Comme par hasard le décor à L’Ami de mon amie, le dernier des Comédies et proverbes. Pourtant, la référence rohmérienne n’a ici rien de superficiel. La base de loisirs est l’endroit où Guillaume Brac a passé son adolescence et il arrive à retranscrire son charme avec une réelle émotion, les dragueurs de plage, les enfants aventuriers sortis d’un roman de Stevenson, les plongeons et les soirs de pluie. On avait accusé Rohmer de mépriser l’odeur de saucisses émanant des barbecues de prolétaires banlieusards. Un procès un peu réducteur et parfois drôle (un critique de films était allé jusqu’à faire envoyer des kilos de saucisses à la boîte de production de Rohmer). Brac va précisément filmer ces amateurs de barbecue et aussi des réfugiés afghans ou un gardien de nuit africain. Il serait le Rohmer d’une France du XXIème siècle, intégrant finalement ses minorités à l’écran. C’est le cas dans son film suivant, A l’abordage (2020), au dispositif théorique stimulant : le parachutage de deux banlieusards dans un conte d’été dont ils ne maîtrisent pas les codes. Une comédie douce-amère, qui s’amuse à brouiller les pistes, un film généreux et choral où les intrigues secondaires prennent le pas sur la principale.
Brouiller les pistes, Brac sait le faire entre documentaire et fiction. Dans son diptyque valdoisien, la fiction a des allures de documentaire quand le documentaire est à l’inverse très mis en scène. C’est un cinéma léger en apparence où la gravité n’est jamais loin. Un cinéma d’été, de vacances qui n’en rend que plus impitoyable le retour de bâton du réel. On pense aussi à Jacques Rozier, celui de Du côté d’Orouët, dont le dragueur maladroit incarné Bernard Menez pourrait être le père de celui de Macaigne (il joue d’ailleurs ce rôle dans Tonnerre). Dans un cinéma français où l’influence des aînés demeure souvent étouffante, Brac creuse son sillon, film après film, dans une oeuvre certes référencée mais pourvue de ses qualités propres.
Bon article sur un des rares cinéastes français que j’ai plaisir à suivre. Il me reste à voir Un monde sans femmes. J’avais pu revoir sur grand écran à Etampes son dernier film qui est réussi malgré le côté plutôt déplaisant du couple principal. Il reste à souhaiter que Brac enchaine les films comme Rohmer et ne devienne pas un cinéaste « rare » comme Rozier.
A propos de « l’influence étouffante des aînés », j’ai trouvé que le dernier film de J. Gray est vraiment proche des 400 coups et plus fugitivement de la fin des Vitelloni. Téléphone demain matin ou ce week-end ? Bises à vous deux.
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J’ai oublié de dire à quel point, à mes yeux, Laure Calamy et Constance Rousseau (aussi touchante que Nadia Sibirskaïa dans Le Crime de Monsieur Lange), sont à la hauteur de ce film essentiel du cinéma français en 2010, tournage et 2012, sortie en salles. On pourrait envisager d’appliquer à ce film, ce que François Truffaut disait en 1957 d’un grand film de 1936 : » Monsieur Lange est de tous les films de Renoir, le plus dense en « miracles » de jeu et de caméra, le plus chargé de vérité et de beauté pures, un film que nous dirions touché par la grâce. » ________________________________ De : michel audouy lemaudouym@live.fr Envoyé : vendredi 13 janvier 2023 08:25 À : François Audouy comment+eyt6b0gptqewlha9kohtypab@comment.wordpress.com Objet : RE: [Nouvel article] GUILLAUME BRAC
Tonnerre revu ces derniers jours prend souvent à la gorge, les dernières séquences en particulier : au commissariat, le réveillon (surtout), la sortie à vélo. Mais tout ce qui précède a préparé ce sommet émotionnel. Solène Rigot, qui avait à peine plus de vingt ans quand le film a été tourné , est inoubliable. Elle brillera deux ans après dans quelques scènes de Saint Amour*. V. Macaigne, dont le physique et la « folie » me font penser au Peter Stormare de Fargo et B. Ménez sont remarquables. Apparition de Marie-Anne Guérin (ex des Cahiers du cinéma) dans le rôle de la « fiancée » de Ménez.
*avec Depardieu et Poelvvorde, père et fils, comme ici Ménez et Macaigne. ________________________________ De : michel audouy lemaudouym@live.fr Envoyé : lundi 9 janvier 2023 23:26 À : François Audouy comment+eyt6b0gptqewlha9kohtypab@comment.wordpress.com Objet : RE: [Nouvel article] GUILLAUME BRAC
Je viens de voir en DVD Un monde sans femmes et Un naufragé. L’influence de Du côté d’Orouet semble évidente, G. Brac et son chef opérateur en parlent dans un des compléments, cela n’est en rien gênant, tant ces films sont réussis. Un monde sans femmes touche profondément, les dernières scènes en particulier sont miraculeuses. Je vais demain sans doute revoir Tonnerre. A bientôt.
________________________________ De : michel audouy lemaudouym@live.fr Envoyé : jeudi 24 novembre 2022 14:15 À : François Audouy comment+eyt6b0gptqewlha9kohtypab@comment.wordpress.com Objet : RE: [Nouvel article] GUILLAUME BRAC
Bon article sur un des rares cinéastes français que j’ai plaisir à suivre. Il me reste à voir Un monde sans femmes. J’avais pu revoir sur grand écran à Etampes son dernier film qui est réussi malgré le côté plutôt déplaisant du couple principal. Il reste à souhaiter que Brac enchaine les films comme Rohmer et ne devienne pas un cinéaste « rare » comme Rozier.
A propos de « l’influence étouffante des aînés », j’ai trouvé que le dernier film de J. Gray est vraiment proche des 400 coups et plus fugitivement de la fin des Vitelloni. Téléphone demain matin ou ce week-end ? Bises à vous deux.
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