Le titre du recueil, d’abord, intrigue. Articles de plage. Ces articles sont-ils définis ? Et quelles sont ces plages qu’évoque l’auteur ? Celles de son enfance, assurément. De l’enfance qui est « le seul pays d’un homme”. De l’enfance qui pourtant nous échappe. Dès le premier poème, on comprend qu’elle est désormais matière morte :
(…)l’enfance n’est plus et un silence interminable tombe dans l’atmosphère naphtaline un silence plus mort qu’un bloc de pierre
En quatrième de couverture, le projet de Gilles Vidal est exposé : “retourner affronter le réel à travers les mots”. Retourner le couteau dans la plaie et se retourner vers son passé. L’affronter et s’affronter. Mais aussi “traverser les joies et les peines à travers la poésie si vivante”. La peine en effet n’est jamais loin de la jouissance : “le soleil (…) arrose les futurs mélanomes/comme la fumée des cigarettes/les poumons blancs”. Poésie du réel, oui. Pas d’échappatoire métaphysique (“la vie est juste la vie”) mais un combat au jour le jour. En prose ou en vers libres, les poèmes de Gilles Vidal ne cherchent pas l’esbroufe formelle mais à coller au plus près d’une vérité. Une vérité souvent très noire :
le dedans en moi
semble vide
je n’y vois plus rien
Une vérité qui “mouche (l)es espoirs”, décourage les tentatives vaines. Il y a le vieillissement, “le temps qui court à toutes secondes”, la nostalgie des étés passés et le deuil :
lui
lui dont le corps de sa compagne
avait été brûlé
la veille
comme s’il avait honte
d’être encore là
vivant
Cependant, pas d’alternative, il faut se coltiner ce réel. Est-ce que de “juste une vie”, on ne pourrait pas faire une vie juste ? Il reste l’expérience poétique, joliment décrite, sans être dupe de ses résultats :
logogrammes tentant
de résumer en vain
par quelques vers
des écharpes d’existence
Il reste le ciel :
étudier la façon dont les nuages s’étirent
se disloquent puis se reforment
Affronter le réel, c’est aussi rejeter les clichés poétiques éculés :
après, à la fin,
tout ce qui reste
c’est le courage des humbles
et la bonté des pauvres
foutaises
Peu, à peu, les souvenirs qu’on croyait enterrés viennent remonter à la surface : ceux du grand-père et de ses bretelles bordeaux qui étaient celles du dimanche, ceux des “épaisses et taciturnes forêts”, des “luxuriantes prairies”, des “cascades coléreuses”, des “étangs aux surfaces immobiles”. Ces souvenirs qui font frémir les sens. Qui “rachètent sa part au morbide”. Le salut inclut aussi l’humour :
les jours
épouvantails vacillants
ne trouvent leur équilibre
qu’affublés
en giorgio armani
Un humour capable de transmuer la douleur en un éclat de rire :
la tristesse a parfois
le goût de l’aventure
elle se déploie
ou s’étiole ou s’en rit
Au final, ces articles de plage composent un ensemble élégant, où l’ironie côtoie de près le désespoir, où l’enfance n’est pas loin de la mort. Une poésie du quotidien, mélancolique et lucide (rien d’étonnant à y voir figurer le nom de Richard Brautigan). Le projet est donc abouti : ne pas maquiller le réel mais le regarder dans les yeux.
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