(Jean-François Stévenin, 1978 et 2002)
Parfois, on a des pressentiments, des moments de clarté, des “insights”, terme anglais difficilement traduisible. A peine avais-je lu quelques lignes d’Artaud que je savais qu’il me marquerait à vie. Bien avant de visionner Taxi Driver ou Heaven’s Gate, je soupçonnais qu’ils s’installeraient dans mon panthéon de cinéma. J’avais la même sensation avec les films de Jean-François Stévenin, que je ne connaissais que comme acteur, massif, bourru et dégarni, fantaisiste et émouvant. J’appréciais son débit rapide, sa gouaille, son enthousiasme juvénile à évoquer Rozier, Rivette, Truffaut ou son idole Cassavetes. Je n’avais jamais vu ses trois seuls films en tant que réalisateur mais ils titillaient depuis des lustres ma fibre d’amateur du cinéma français de la vie, celui qui, de Renoir à Kechiche, en passant par l’immense Pialat, nous brise le quatrième mur pour bouffer, boire, tailler la bavette avec des frères de films tellement proches qu’ils n’en sont plus des personnages. Inconnus un instant plus tôt, ils se transforment en vieux membres de la famille par la magie de la pellicule, et famille est le maître-mot des films de Jean-François Stévenin, pas tant la famille biologique que celle qu’on tente de se créer, et qui aide à vous tenir chaud.
Dans Le Passe-montagne, son premier film, il fait précisément très froid, au coeur de l’hiver jurassien. Citadin égaré suite à une panne de Mercedes, Jacques Villeret est pris en charge par un garagiste taiseux, incarné par Stévenin lui-même. Une longue nuit de beuverie scellera une amitié fugace, comme un bref retour en enfance, une parenthèse dans la lumière bleue du matin, dont il se souviendra dans trente ans. Mischka, à l’intrigue plus foisonnante, propose une galerie de personnages en rupture de ban avec leurs familles qui, l’espace d’un été, vont se souder en un petit groupe, opposant leur humanité à celle, défaillante, de leurs faux frères et conjoints. Aux grands rêveurs seuls tout arrive, même la descente de Dieu sur terre, sous la forme de Johnny Hallyday. Déclaration enflammée à la famille, la vraie comme celle de cinéma, aux coteaux et littoraux de France, hymne à la solidarité des laissés pour compte de tous âges qui en ressortent grands vainqueurs, le film s’achève sur le panneau JE T’AIME.
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