CONTE D’ÉTÉ

(Eric Rohmer, 1996)

Pourquoi Conte d’été plutôt qu’un autre film d’Éric Rohmer ? Ce n’est sans doute pas le meilleur. Ma Nuit chez Maud est plus pascalien, La Collectionneuse plus pervers et Conte d’hiver plus mystique. Conte d’été, pourtant, nous touche, par ses paysages bretons, par ses chansons de marins et le personnage de Gaspard, anti-héros velléitaire, incapable de se fondre dans un groupe. Le film explore la solitude de cet étudiant en vacances, beau gosse dégingandé et gauche, bien campé par Melvil Poupaud. Rohmer prend le contrepied de nos attentes : aucun des dialogues qui ont fait sa renommée lors des dix premières minutes mais une errance du jeune homme, de plages en cafés et restaurants, à la recherche d’un être mystérieux. Puis, on revient en terres connues : la rencontre de Gaspard et de Margot (Amanda Langlet, qu’on retrouve sur une plage treize ans après celle de Pauline) donnera lieu à de longues balades et des tirades métaphysiques (“Mon problème, ce n’est pas d’exister, c’est d’être”).

Verbiage philosophique

La tare de Gaspard est l’indécision. Quand Léna, la fille qu’il convoite, tarde à venir, au lieu de rester sur ce premier choix, il se dit que ça pourrait être une autre. Mais alors, Margot, la bonne copine ambigüe, ou Solène, la sensuelle fille de corsaires ? L’indécision entraîne d’autres indécisions, des ramifications sans fin. Comme tout bon mâle rohmérien, Gaspard justifie ses manques par un verbiage philosophique (“je n’aime pas provoquer le hasard, j’aime que le hasard me provoque”) mais au final ne dupe personne. Qui trop embrasse mal étreint et qui trop promet ne peut tenir. A traquer des chimères et à mal écouter Margot, Gaspard ne comprend qu’à la dernière scène que l’amour était là, sous ses yeux. 

Film profondément féministe (“une fille a beau être débile, idiote, demeurée, ce ne sera jamais à votre niveau”, lance Margot, furieuse, à Gaspard), Conte d’été nous met pourtant en empathie avec cet “homme sans qualités” incapable d’opérer le moindre choix, même celui de partir en week-end avec l’une ou l’autre des filles. Gaspard tirera de ses infortunes la matière d’une chanson, qu’il écrit tout au long du film, comme en écho à ce dernier. D’abord vague air de guitare, inspiré de “Valparaiso”, elle va acquérir des paroles et même l’aide d’un accordéon :

Je suis une fille de corsaires

On m’appelle la flibustière

J’aime le vent, j’aime la houle

Je fends la mer comme la foule (la foule)

Vite, vite mon joli bâteau

Il ne sera jamais trop tôt

Pour voguer vers San Francisco

En passant par Valparaiso

Et gagner les Aléoutiennes

En traversant les mers indiennes

Il faut que j’aille au bout du monde

Pour savoir si la terre est ronde

Cette fille du vent et de la houle qui échappe au protagoniste, du moins pourra-t-il l’enregistrer, sur un petit magnéto 8 pistes. Ni l’été ni le film ne sont perdus.

Filles de la pluie

Dans La Fabrique du conte d’été, l’indispensable making-of, Eric Rohmer affirme sa joie d’avoir eu une belle scène de pluie dans cet été breton ensoleillé, où seul Gaspard est brumeux. Il s’agit d’une scène où son héros, plus empoté encore qu’à la Potinière -la crêperie où travaille Margot- doit confirmer à Solène qu’ils se rendront bien à Ouessant. Ouessant est le point de fuite du film, le McGuffin, le lieu mythique où bien sûr on ne se rendra jamais. Gaspard ne prendra le large que pour rentrer bredouille à Rennes et ce par le même bâteau qui l’avait amené à Dinard, bouclant la boucle absurde de l’été. S’il ne tient pas la promesse d’emmener une fille à Ouessant, c’est sans doute par une forme de pureté, car privilégier l’une d’entre elles reviendrait à trahir les autres. Au cours d’une promenade avec Léna, l’étudiant mentionne Filles de la pluie, un roman d’André Savignon ayant obtenu le Prix Goncourt en 1912. Il le décrit comme très noir, un livre sur la condition des femmes insulaires abandonnées par leurs maris. Ces femmes de marins, ces filles de corsaires, ces Margot laissées à Saint-Malo par la chanson comme par Gaspard révèlent cependant de belles ressources et savent se muer en flibustières tandis que le jeune homme reste à quai. 

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